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étoit avec vérité, et une vérité sublime, Camille, Roxane, Hermione, Ariane, et surtout Électre, j’épuisai le peu que j’avois d’éloquence à lui inspirer pour Clairon l’enthousiasme dont j’étois plein moi-même ; et je jouissois, en lui parlant, de l’émotion que je lui causois, lorsque enfin prenant la parole : « Eh bien ! mon ami, me dit-il avec transport, c’est comme Mme Denis ; elle a fait des progrès étonnans, incroyables. Je voudrois que vous lui vissiez jouer Zaïre, Alzire, Idamé ! le talent ne va pas plus loin. » Mme Denis jouant Zaïre ! Mme Denis comparée à Clairon ! Je tombai de mon haut, tant il est vrai que le goût s’accommode aux objets dont il peut jouir, et que cette sage maxime :


Quand on n’a pas ce que l’on aime,
Il faut aimer ce que l’on a,


est en effet non seulement une leçon de la nature, mais un moyen qu’elle se ménage pour nous procurer des plaisirs.

Nous reprîmes la promenade ; et, tandis que M. de Voltaire s’entretenoit avec Gaulard de son ancienne liaison avec le père de ce jeune homme, causant de mon côté avec Mme Denis, je lui rappelois le bon temps.

Le soir, je mis Voltaire sur le chapitre du roi de Prusse. Il en parla avec une sorte de magnanimité