Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien voulu venir raccommoder les dents irracommodables de Mme Denis. C’est un homme charmant. Mais ne le connoissez-vous pas ? — Le seul L’Écluse que je connoisse est, lui dis-je, un acteur de l’ancien Opéra-Comique. — C’est lui, mon ami, c’est lui-même. Si vous le connoissez, vous avez entendu cette chanson du Rémouleur, qu’il joue et qu’il chante si bien. » Et à l’instant voilà Voltaire imitant L’Écluse, et, avec ses bras nus et sa voix sépulcrale, jouant le Rémouleur et chantant la chanson :


Je ne sais où la mettre
JeMa jeune fillette ;
Je ne sais où la mettre,
JeCar on me la che…


Nous riions aux éclats ; et lui, toujours sérieusement : « Je l’imite mal, disoit-il ; c’est M. de L’Écluse qu’il faut entendre ; et sa chanson de la Fileuse ! et celle du Postillon ! et la querelle des Écosseuses avec Vadé ! C’est la vérité même. Ah ! vous aurez bien du plaisir. Allez voir Mme Denis. Moi, tout malade que je suis, je m’en vais me lever pour dîner avec vous. Nous mangerons un ombre-chevalier, et nous entendrons M. de L’Écluse. Le plaisir de vous voir a suspendu mes maux, et je me sens tout ranimé. »

Mme Denis nous reçut avec cette cordialité qui faisoit le charme de son caractère. Elle nous pré-