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deux rangs de mûriers et entre deux canaux d’une eau vive, pure et rapide. De jolis groupes de jeunes juives, qui se promenoient comme nous, ajoutoient à l’illusion que nous faisoit la beauté du lieu ; et d’excellentes truites, de belles écrevisses, que l’on nous servit à souper dans l’auberge qui terminoit cette charmante promenade, firent succéder aux plaisirs de l’imagination et à ceux de la vue les délices d’un nouveau sens.

Le beau temps, qui depuis Paris avoit si agréablement accompagné notre voyage, nous abandonna sur les confins de la Provence. Le pays où il pleut le plus rarement fut pluvieux pour nous. La ville d’Aix ne fut d’abord sur notre route qu’un passage pour aller voir Marseille et Toulon. Il fallut cependant faire une visite d’usage au gouverneur de la province, qui résidoit dans cette ville. Ce gouverneur, l’indigne fils du maréchal de Villars[1], me reçut avec une politesse qui, dans un autre, m’auroit flatté. Il marqua de l’empressement à nous retenir jusqu’à la Fête-Dieu. Nous

  1. Honoré-Armand, duc de Villars (1702-1770), membre de l’Académie française et l’un des correspondants de Voltaire. Grimm, en rappelant l’épitaphe proposée pour son tombeau : Ci-git l’ami des hommes, ajoute : « Je ne connais que M. de Mirabeau en droit de protester contre la profanation d’un titre qu’il s’est réservé exclusivement. » (Corresp. litt., octobre 1770.)