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croyois voir crever le fond du réservoir, et les montagnes des environs s’écrouler sur nos têtes. L’émotion profonde, et, à dire vrai, la frayeur que ce bruit nous avoit causée, ne nous empêcha point d’aller voir ce qui se passoit sous la seconde voûte. Nous y pénétrâmes, au bruit de ces tonnerres souterrains ; et là nous vîmes trois torrens s’élancer par l’ouverture des robinets. Je ne connois dans la nature aucun mouvement comparable à la violence de la colonne d’eau qui, en flots d’écume, s’échappoit de ces tubes. L’œil ne pouvoit la suivre ; sans étourdissement on ne pouvoit la regarder. Le bord de l’aqueduc où fuyoit ce torrent n’avoit que quatre pieds de large ; il étoit revêtu d’une pierre de taille polie, humide et très glissante. C’étoit là que nous étions debout, pâlissans, immobiles ; et, si le pied nous eût manqué, l’eau du torrent nous eût roulés à mille pas dans un clin d’œil. Nous sortîmes en frémissant, et nous sentîmes les rochers auxquels la digue est appuyée trembler à cent pas de distance.

Quoique bien familiarisé avec le mécanisme du canal, je ne laissai pas d’être émerveillé encore, lorsque du pied de la colline de Béziers je vis comme un long escalier de huit écluses contiguës, par où les barques descendoient ou montoient avec une égale facilité.

À Béziers, je trouvai un ancien militaire de mes