Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prévu ; on se joua de lui de toutes les manières. Il voulut se défendre sérieusement ; il n’en fut que plus ridicule. Il adressa un mémoire au roi ; son mémoire fut bafoué. Voltaire parut rajeunir pour s’égayer à ses dépens : en vers, en prose, sa malice fut plus légère, plus piquante, plus féconde en idées originales et plaisantes qu’elle n’avoit jamais été. Une saillie n’attendoit pas l’autre. Le public ne cessoit de rire aux dépens du triste Le Franc. Obligé de se tenir enfermé chez lui pour ne pas entendre chanter sa chanson dans le monde, et pour ne pas se voir montré au doigt, il finit par aller s’ensevelir dans son château, où il est mort sans avoir jamais osé reparoître à l’Académie. J’avoue que je n’eus aucune pitié de lui, non seulement parce qu’il étoit l’agresseur, mais parce que son agression avoit été sérieuse et grave, et n’alloit pas à moins, si on l’en avoit cru, qu’à faire proscrire nombre de gens de lettres, qu’il dénonçoit et désignoit comme les ennemis du trône et de l’autel.

Lorsque nous fûmes sur le point, Gaulard et moi, de revenir à Paris : « Allons-nous, me dit-il, retourner par la même route ? n’aimeriez-vous pas mieux faire le tour par Toulouse, Montpellier, Nîmes, Avignon, Vaucluse, Aix, Marseille, Toulon, et par Lyon, Genève, où nous verrions Voltaire, dont mon père a été connu ? » Vous pensez