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fermes empressés à nous recevoir ; je croyois être dans ces temps poétiques et dans ces beaux climats où l’hospitalité s’exerçoit par des fêtes.

À Bordeaux, je fus accueilli et traité aussi bien qu’il étoit possible, c’est-à-dire qu’on m’y donna de bons dîners, d’excellens vins, et même des salves de canon des vaisseaux que je visitois. Mais, quoiqu’il y eût dans cette ville des gens d’esprit et faits pour être aimables, je jouis moins de leur commerce que je n’aurois voulu : un fatal jeu de dés, dont la fureur les possédoit, noircissoit leur esprit et absorboit leur âme. J’avois tous les jours le chagrin d’en voir quelqu’un navré de la perte qu’il avoit faite. Ils sembloient ne dîner et ne souper ensemble que pour s’entr’égorger au sortir de table ; et cette âpre cupidité, mêlée aux jouissances et aux affections sociales, étoit pour moi quelque chose de monstrueux.

Rien de plus dangereux pour un receveur général des fermes qu’une telle société. Quelque intacte que fût sa caisse, sa seule qualité de comptable lui devoit interdire les jeux de hasard, comme un écueil sinon de sa fidélité, au moins de la confiance qu’on y avoit mise ; et je ne fus pas inutile à celui-ci pour l’affermir dans la résolution de ne jamais se laisser gagner à la contagion de l’exemple.

Une autre cause altéroit le plaisir que m’auroit