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voir, lui dis-je, lorsque j’irai voir ce beau port et cette ville opulente : car, dans les rêves de ma vie, c’est l’un de mes projets les plus intéressans. — Si je l’avois su, me dit-il, vous auriez pu l’exécuter dès demain : j’avois une place à vous offrir dans ma chaise. Et moi, me dit l’un des convives (c’étoit un juif appelé Gradis[1], l’un des plus riches négocians de Bordeaux), et moi je me serois chargé de faire voiturer vos malles. — Mes malles, dis-je, n’auroient pas été lourdes ; mais pour mon retour à Paris ?… Dans six semaines, reprit Gaulard, je vous y aurois ramené. — Tout cela n’est donc plus possible ? leur demandai-je. — Très possible de notre part, me dirent-ils, mais nous partons demain. » Alors, disant quatre mots à l’oreille au fidèle Bury, qui me servoit à table, je l’envoyai faire mes paquets ; et aussitôt, buvant à la santé de mes compagnons de voyage : « Me voilà prêt, leur dis-je, et nous partons demain. » Tout le monde applaudit à une résolution si leste, et tout le monde but à la santé des voyageurs.

Il est difficile d’imaginer un voyage plus agréable une route superbe, un temps si beau, si doux, que nous courions la nuit, en dormant, les glaces baissées. Partout les directeurs, les receveurs des

  1. La famille Gradis compte actuellement encore des représentants à Bordeaux.