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sumer mon temps, de me dérober à moi-même, de m’interdire toute entreprise honorable pour mes talens, et de les asservir à une rédaction minutieuse et presque mécanique ; le duc d’Aumont les avoit remis en liberté, et m’avoit rendu l’heureux besoin d’en faire un digne et noble usage. Enfin, j’étois résolu à sacrifier au travail du Mercure huit ou dix des plus belles années de ma vie, avec l’espérance d’amasser une centaine de mille francs, auxquels je bornois mon ambition. Or, les loisirs que m’avoit procurés le duc d’Aumont ne me valurent guère moins dans le même nombre d’années, sans rien prendre sur les plaisirs de mes sociétés à la ville, ni des campagnes délicieuses où je passois le temps des trois belles saisons.

Je ne compte pas l’avantage d’avoir été reçu à l’Académie françoise plus tôt que je n’aurois dû l’être en ne faisant que le Mercure. L’intention du duc d’Aumont n’étoit pas de m’y conduire par la main ; il le fit cependant sans le vouloir, et même en ne le voulant pas.

J’ai observé plus d’une fois, et dans les circonstances les plus critiques de ma vie, que, lorsque la fortune a paru me contrarier, elle a mieux fait pour moi que je n’aurois voulu moi-même. Ici me voilà ruiné, et, du milieu de ma ruine, vous allez, mes enfans, voir naître le bonheur le plus égal, le plus paisible et le plus rarement troublé dont un