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Je m’aperçus que le duc de Choiseul trouvoit du ridicule dans mon petit orgueil ; et, pour me le faire sentir, il me demanda, en souriant, quel avoit été mon Annibal. « Mon Annibal, lui répondis-je, Monsieur le duc, c’est le malheur, qui depuis longtemps m’éprouve et m’apprend à souffrir.

— Et voilà, reprit-il, ce que j’appelle un honnête homme. » Alors, le voyant ébranlé : « C’est cet honnête homme, lui dis-je, que l’on ruine et que l’on accable pour complaire à M. le duc d’Aumont, sans autre motif que sa plainte, sans autre preuve que sa parole. Quelle effroyable tyrannie ! » Ici le duc de Choiseul m’arrêta. « Marmontel, me dit-il, le brevet du Mercure étoit une grâce du roi ; il la retire quand il lui plaît ; il n’y a point là de tyrannie. — Monsieur le duc, lui répliquai-je, du roi à moi, le brevet du Mercure est une grâce ; mais, de M. le duc d’Aumont à moi, le Mercure est mon bien, et, par une accusation fausse, il n’a pas droit de me l’ôter… Mais non, ce n’est pas moi qu’il dépouille, ce n’est pas moi que l’on immole à sa vengeance. On égorge, pour l’assouvir, de plus innocentes victimes. Sachez, Monsieur le duc, qu’à l’âge de seize ans, ayant perdu mon père, et me voyant environné d’orphelins comme moi, et d’une pauvre et nombreuse famille, je leur promis à tous de leur servir de père. J’en pris à