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lorsque Bury, en entrant dans ma chambre, m’annonça Mme Geoffrin. « Eh bien, mon voisin, me demanda-t-elle, comment avez-vous passé la nuit ? — Fort bien, Madame ; ni le bruit des verrous, ni le qui vive des rondes, n’a interrompu mon sommeil. — Et moi, dit-elle, je n’ai pas fermé l’œil. — Pourquoi donc, Madame ? — Ah ! pourquoi ? ne le savez-vous pas ? J’ai été injuste et cruelle. Je vous ai, hier au soir, accablé de reproches. Voilà comme on est : dès qu’un homme est dans le malheur, on l’accable, on lui fait des crimes de tout (et elle se mit à pleurer). — Eh ! bon Dieu, Madame, lui dis-je, pensez-vous encore à cela ? Pour moi, je l’avois oublié. Si je m’en ressouviens, ce ne sera jamais que comme d’une marque de vos bontés pour moi. Chacun a sa façon d’aimer : la vôtre est de gronder vos amis du mal qu’ils se sont fait, comme une mère gronde son enfant lorsqu’il est tombé. » Ces mots la consolèrent. Elle me demanda ce que j’allois faire. « Je vais suivre, lui dis-je, le conseil que m’a donné M. de Sartine, voir M. de Saint-Florentin, et de là me rendre à Versailles, et aborder, s’il est possible, Mme de Pompadour et M. le duc de Choiseul. Mais je suis de sang-froid, je possède ma tête, je me conduirai bien, n’en ayez point d’inquiétude. » Tel fut cet entretien, qui fait, je crois, autant d’honneur au caractère de