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Alors Bury m’invite à me mettre à table, et il me sert la soupe. C’étoit un vendredi. Cette soupe en maigre étoit une purée de fèves blanches, au beurre le plus frais, et un plat de ces mêmes fèves fut le premier que Bury me servit. Je trouvai tout cela très bon. Le plat de morue qu’il m’apportat pour le second service étoit meilleur encore. La petite pointe d’ail l’assaisonnoit, avec une finesse de saveur et d’odeur qui auroit flatté le goût du plus friand Gascon. Le vin n’étoit pas excellent, mais il étoit passable ; point de dessert : il falloit bien être privé de quelque chose. Au surplus, je trouvai qu’on dînoit fort bien en prison.

Comme je me levois de table, et que Bury alloit s’y mettre (car il y avoit encore à dîner pour lui dans ce qui restoit), voilà mes deux geôliers qui rentrent avec des pyramides de nouveaux plats dans les mains. À l’appareil de ce service en beau linge, en belle faïence, cuillère et fourchette d’argent, nous reconnûmes notre méprise ; mais nous ne fîmes semblant de rien ; et, lorsque nos geôliers, ayant déposé tout cela, se furent retirés : « Monsieur, me dit Bury, vous venez de manger mon dîner, vous trouverez bon qu’à mon tour je mange le vôtre. — Cela est juste », lui répondis-je ; et les murs de ma chambre furent, je crois, bien étonnés d’entendre rire.

Ce dîner étoit gras ; en voici le détail : un