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vail, qui m’appliqueroit sans fatiguer ma tête, se trouvoit le plus convenable au loisir solitaire de ma prison. J’avois donc apporté avec moi la Pharsale, et, pour l’entendre mieux, j’avois eu soin d’y joindre les Commentaires de César.

Me voilà donc au coin d’un bon feu, méditant la querelle de César et de Pompée, et oubliant la mienne avec le duc d’Aumont. Voilà, de son côté, Bury, aussi philosophe que moi, s’amusant à faire nos lits, placés dans les deux angles opposés de ma chambre, éclairée dans ce moment par un beau jour d’hiver, nonobstant les barreaux de deux fortes grilles de fer qui me laissoient la vue du faubourg Saint-Antoine.

Deux heures après, les verrous des deux portes qui m’enfermoient me tirent par leur bruit de ma profonde rêverie, et les deux geôliers, chargés d’un dîner que je crois le mien, viennent le servir en silence. L’un dépose devant le feu trois petits plats couverts d’assiettes de faïence commune ; l’autre déploie, sur celle des deux tables qui étoit vacante, un linge un peu grossier, mais blanc. Je lui vois mettre sur cette table un couvert assez propre, cuillère et fourchette d’étain, du bon pain de ménage et une bouteille de vin. Leur service fait, les geôliers se retirent, et les deux portes se referment avec le même bruit des serrures et des verrous.