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l’on me fit monter dans une vaste chambre, où il y avoit pour meubles deux lits, deux tables, un bas d’armoire et trois chaises de paille. Il faisoit froid ; mais un geôlier nous fit bon feu et m’apporta du bois en abondance. En même temps on me donna des plumes, de l’encre et du papier, à condition de rendre compte de l’emploi et du nombre des feuilles que l’on m’auroit remises.

Tandis que j’arrangeois ma table pour me mettre à écrire, le geôlier revint me demander si je trouvois mon lit assez bon. Après l’avoir examiné, je répondis que les matelas en étoient mauvais et les couvertures malpropres. Dans la minute tout cela fut changé. On me fit demander aussi quelle étoit l’heure de mon dîner. Je répondis : l’heure de tout le monde. La Bastille avoit une bibliothèque ; le gouverneur m’en envoya le catalogue, en me donnant le choix des livres qui la composoient. Je le remerciai pour mon compte ; mais mon domestique demanda pour lui les romans de Prévost, et on les lui apporta.

De mon côté, j’avois assez de quoi me sauver de l’ennui. Impatienté depuis longtemps du mépris que les gens de lettres témoignoient pour le poème de Lucain, qu’ils n’avoient pas lu et qu’ils ne connoissoient que par la version barbare et ampoulée de Brébeuf, j’avois résolu de le traduire plus décemment et plus fidèlement en prose, et ce tra-