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sous le masque immobile d’une froide tranquillité.

Ma vie étoit moins solitaire et moins sage à Fontainebleau. Les soupers des Menus-Plaisirs, les courses aux chasses du roi, les spectacles, étoient pour moi de fréquentes dissipations ; et je n’avois pas, je l’avoue, le courage de m’en défendre.

À Versailles j’avois aussi mes amusemens, mais réglés sur mon plan d’étude et de travail, de façon à ne jamais être que des délassemens pour moi. Ma société journalière étoit celle des premiers commis, presque tous gens aimables, et faisant à l’envi la meilleure chère du monde. Dans l’intervalle de leurs travaux, ils se donnoient le plaisir de la table : ils étoient gourmands à peu près pour la même raison que le sont les dévots. L’abbé de La Ville[1], par exemple, étoit l’homme du monde le plus soigneux de se procurer de bons vins. Tous les ans, son maître d’hôtel alloit recueillir la mère goutte des meilleurs celliers de Bourgogne, et suivoit de l’œil ses tonneaux. J’étois de ses dîners, et j’y figurois assez bien.

  1. Jean-Ignace de La Ville, né en 1701, mort le 15 avril 1774, évêque in partibus de Triconie, abbé commendataire de Saint-Quentin-lès-Beauvais et de Lessay, ancien ministre du roi près des Provinces-Unies, directeur général du département des affaires étrangères, élu en 1746 membre de l’Académie française, en remplacement de Mongin, évêque de Bazas. Il eut Suard pour successeur.