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pièce curieuse. On n’en citoit que les deux premiers vers :


Que chacun se retire, et qu’aucun n’entre ici.
Vous, Le Kain, demeurez ; vous, d’Argental, aussi.


Mais c’en fut assez pour me faire croire qu’elle couroit le monde, et il m’échappa de dire en souriant « Quoi ! n’en savez-vous que cela ? » Aussitôt on me presse de dire ce que j’en savois ; il n’y avoit là, me disoit-on, que d’honnêtes gens, des gens sûrs, et Mme Geoffrin répondoit elle-même de la discrétion de ce petit cercle d’amis. Je cédai, je leur récitai ce que je savois de la parodie ; et, le lendemain, je fus dénoncé au duc d’Aumont, et par lui au roi, comme auteur de cette satire.

J’étois tranquillement à l’Opéra, à la répétition d’Amadis, pour entendre notre Oriane, lorsqu’on vint me dire que tout Versailles étoit en feu contre moi, qu’on m’accusoit d’être l’auteur d’une satire contre le duc d’Aumont, que la haute noblesse en crioit vengeance, et que le duc de Choiseul étoit à la tête de mes ennemis.

Je revins chez moi sur-le-champ, et j’écrivis au duc d’Aumont pour l’assurer que les vers qu’on m’attribuoit n’étoient pas de moi, et que, n’ayant jamais fait de satire contre personne, je n’aurois pas commencé par lui. Il eût fallu m’en tenir là ;