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je ne conçois pas comment ceux qui, tous les jours, entendoient Cury plaisanter ne reconnurent pas sa finesse ironique. Dès sa jeunesse, ce tour d’esprit s’étoit signalé par un trait remarquable et qui étoit connu.

Sa mère étoit en liaison intime avec M. Poultier, intendant de Lyon. Un jour qu’elle dînoit chez lui en grand gala, et son fils avec elle, celui-ci à côté de madame l’intendante, et sa mère à côté de monsieur l’intendant, M. Poultier, ayant attiré les yeux des convives sur une tabatière qu’on ne lui avoit pas vue encore, dit qu’elle lui venoit d’une main qui lui étoit bien chère.


Madame, est-ce la vôtre ou celle de ma mère ?


demanda le jeune Cury en s’adressant à l’intendante. L’un des convives, voulant faire preuve d’érudition, observa que ce vers étoit de Rodogune. « Non, répliqua M. Poultier, il est de l’Étourdi. » C’étoit rabattre avec bien de l’esprit une sottise et une impertinence.

Ce trait et beaucoup d’autres avoient rendu célèbre le talent de Cury pour de fines allusions. Heureusement on l’oublia.

La tête pleine de la parodie qu’il venoit de me confier, j’arrivai à Paris chez Mme Geoffrin, et, dès le jour suivant, j’y entendis parler de cette