Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’avois imaginé le conte de la Bergère des Alpes. Heureux moment de calme et de sérénité, que devoit bientôt suivre un violent orage ! Là, tout le monde étoit chasseur, excepté moi ; mais je suivois la chasse, et, dans une île de la Seine où elle se passoit, assis au pied d’un saule, le crayon à la main, rêvant que j’étois sur les Alpes, je méditois mon conte, et je gardois le dîner des chasseurs. À leur retour, l’air vif et pur de la rivière m’avoit tenu lieu d’exercice, et me donnoit un appétit aussi dévorant que le leur.

Le soir, une table couverte du gibier de leur chasse, et couronnée de bouteilles d’excellent vin, offroit comme un champ libre à la joie et à la licence. Ce furent là pour Cury les dernières caresses et les adieux trompeurs de l’infidèle prospérité :


FortunHinc apicem rapax
Fortuna cum stridore acuto
FoSustulit.


Une petite gaieté qu’il s’étoit permise au théâtre de Fontainebleau, en y tournant en ridicule, dans un prologue de sa façon, les gentilshommes de la chambre, les lui avoit aliénés ; et, après avoir fait semblant de rire eux-mêmes de sa plaisanterie, ils s’en vengèrent en le forçant de quitter sa charge d’intendant des Menus-Plaisirs. Le plus sot de ces