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taille des nymphes, il leur avoit tout dit. Je l’ai vu à Choisy, à la fête des roses, qu’il y célébroit tous les ans dans une espèce de petit temple qu’il avoit décoré de toiles d’opéra, et qui, ce jour-là, étoit orné de tant de guirlandes de roses que nous en étions entêtés. Cette fête étoit un souper où les femmes se croyoient toutes les divinités du printemps. Bernard en étoit le grand prêtre. Assurément c’étoit pour lui le moment de l’inspiration, pour peu qu’il en fût susceptible : eh bien ! là même, jamais une saillie, ni d’enjouement, ni de galanterie un peu vive, ne lui échappoit ; il y étoit froidement poli. Avec les gens de lettres, dans leur gaieté même la plus brillante, il n’étoit que poli encore ; et, dans nos entretiens sérieux et philosophiques, rien de plus stérile que lui. Il n’avoit, en littérature, qu’une légère superficie ; il ne savoit que son Ovide. Ainsi, réduit presque au silence sur tout ce qui sortoit de la sphère de ses idées, il n’avoit jamais un avis, et, sur aucun objet de quelque conséquence, jamais personne n’a pu dire ce que Bernard avoit pensé. Il vivoit, comme on dit, sur la réputation de ses poésies galantes, qu’il avoit la prudence de ne pas publier. Nous en avions prévu le sort lorsqu’elles seroient imprimées : nous savions qu’elles étoient froides, vice impardonnable, surtout dans un poème de l’Art d’aimer ; mais telle étoit la bienveillance que sa