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partialité, sans égards, en homme indépendant, et qui n’auroit été d’aucun pays ni d’aucun siècle. Ce fut dans cet esprit que, recueillant de mes lectures les traits qui me frappoient et les réflexions que me suggéroient les exemples, je formai cet amas de matériaux que j’employai d’abord dans mon travail pour l’Encyclopédie, d’où je tirai ensuite ma Poétique françoise, et que j’ai depuis rassemblés dans mes Élémens de littérature. Nulle gêne dans ce travail, nul souci de l’opinion et des jugemens du vulgaire. J’étudiois pour moi, je déposois en homme libre mes sentimens et mes pensées ; et ce cours de lectures et de méditations avoit pour moi d’autant plus d’attrait qu’à chaque pas je croyois découvrir entre les intentions de l’art et ses moyens, entre ses procédés et ceux de la nature, des rapports qui pouvoient servir à fixer les règles du goût. J’avois peu de livres à moi ; mais la Bibliothèque royale m’en fournissoit en abondance. J’en faisois bonne provision pour les voyages de la cour, où je suivois M. de Marigny ; et les bois de Marly, les forêts de Compiègne et de Fontainebleau, étoient mes cabinets d’étude. Je n’avois pas le même agrément à Versailles, et la seule incommodité que j’y éprouvois étoit le manque de promenades. Le croira-t-on ? ces jardins magnifiques étoient impraticables dans la belle saison ; surtout quand venoient les chaleurs, ces pièces d’eau, ce beau canal, ces