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autant d’aversion qu’il en avoit pour moi. Je ne me suis jamais donné le soin d’examiner en quoi j’avois pu lui déplaire ; mais je savois bien, moi, ce qui me déplaisoit en lui : c’étoit l’importance qu’il se donnoit pour le mérite le plus futile et le plus mince des talens ; c’étoit la valeur qu’il attachoit à ses recherches minutieuses et à ses babioles antiques ; c’étoit l’espèce de domination qu’il avoit usurpée sur les artistes, et dont il abusoit en favorisant les talens médiocres qui lui faisoient la cour, et en déprimant ceux qui, plus fiers de leur force, n’alloient pas briguer son appui ; c’étoit enfin une vanité très adroite et très raffinée, et un orgueil très âpre et très impérieux, sous les formes brutes et simples dont il savoit l’envelopper. Souple et soyeux avec les gens en place de qui dépendoient les artistes, il se donnoit près de ceux-là un crédit dont ceux-ci redoutoient l’influence. Il accostoit les gens instruits, se faisoit composer par eux des mémoires sur les breloques que les brocanteurs lui vendoient ; faisoit un magnifique recueil de ces fadaises, qu’il donnoit pour antiques ; proposoit des prix sur Isis et Osiris pour avoir l’air d’être lui-même initié dans leurs mystères ; et, avec cette charlatanerie d’érudition, il se fourroit dans les académies sans savoir ni grec ni latin. Il avoit tant dit, tant fait dire par ses prôneurs qu’en architecture il étoit