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homme Portail[1], digne gardien de ce trésor, à causer avec lui sur le génie et la manière des différentes écoles d’Italie, et sur le caractère distinctif des grands peintres. Dans les jardins, j’avois pris aussi quelques idées comparatives de la sculpture antique et de la moderne. Ces études préliminaires m’avoient mis en état de raisonner avec nos convives ; et, en leur laissant l’avantage et l’amusement de m’instruire, j’avois à leurs yeux le mérite de me plaire à les écouter et à recueillir leurs leçons. Avec eux, je me gardois bien d’étaler en littérature d’autres connoissances que celles qui intéressoient les beaux-arts. Je n’avois pas eu de peine à m’apercevoir qu’avec de l’esprit naturel ils manquoient presque tous d’instruction et de culture. Le bon Carle Van Loo possédoit à un haut degré tout le talent qu’un peintre peut avoir sans génie ; mais l’inspiration lui manquoit, et pour y suppléer il avoit peu fait de ces études qui élèvent l’âme, et qui remplissent l’imagination de grands objets et de grandes pensées. Vernet,

  1. Jacques-André Portail, à qui ses délicats crayons, longtemps confondus avec ceux de Watteau et de Lancret, ont conquis aujourd’hui une place d’honneur chez les raffinés. Ce passage, souvent cité, est à peu près tout ce que les contemporains nous ont laissé sur ce petit maître, dont la date et le lieu de naissance (Nantes, selon les uns ; Brest, selon les registres de l’Académie royale) ne sont même pas encore exactement connus.