Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se livroit à nous. C’étoit à lui que la nature avoit donné, par excellence, la sensibilité, la chaleur, la délicatesse du sens moral et de celui du goût, l’amour du beau dans tous les genres, et la passion du génie comme celle de la vertu ; c’étoit à lui qu’elle avoit accordé le don d’exprimer et de peindre en traits de feu tout ce qui avoit frappé son imagination ou vivement saisi son âme ; jamais homme n’est né poète si celui-là ne l’étoit pas. Jeune encore, et l’esprit orné d’une instruction prodigieuse, parlant le françois comme nous, et presque toutes les langues de l’Europe comme la sienne, sans compter les langues savantes, versé dans tous les genres de littérature ancienne et moderne, parlant de chimie en chimiste, d’histoire naturelle en disciple de Linnæus, et singulièrement de la Suède et de l’Espagne en curieux observateur des propriétés de ces climats et de leurs productions diverses, il étoit pour nous une source d’instruction embellie par la plus brillante élocution.

Je vous en dis assez pour vous faire sentir combien ce rendez-vous des gens de lettres devoit avoir d’intérêt et de charmes. Quant à moi, j’y tenois mon coin, ni trọp hardi, ni trop timide, gai, naturel, même un peu libre, bien voulu dans la société, chéri de ceux que j’estimois le plus et que j’aimois le plus moi-même. Pour Mme Geof-