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gnoit aussi de ce geste napolitain qui, dans l’abbé Galiani, animoit si bien l’expression ; et l’on disoit de l’un comme de l’autre qu’ils avoient de l’esprit jusqu’au bout des doigts. L’un comme l’autre avoit aussi d’excellens contes, et presque tous d’un sens fin, moral et profond. Caraccioli avoit fait des hommes une étude philosophique, mais il les avoit observés plus en politique et en homme d’État qu’en moraliste satirique. Il y avoit vu en grand les mœurs des nations, leurs usages et leurs polices ; et, s’il en citoit quelques traits particuliers, ce n’étoit qu’en exemple, et à l’appui des résultats qui formoient son opinion.

Avec des richesses inépuisables du côté du savoir, et un naturel très aimable dans la manière de les répandre, il avoit de plus à nos yeux le mérite d’être un excellent homme. Aucun de nous n’auroit pensé à faire son ami de l’abbé Galiani ; chacun de nous ambitionnoit l’amitié de Caraccioli ; et moi, qui en ai joui longtemps, je ne puis dire assez combien elle étoit désirable.

Mais l’un des hommes qui m’a le plus chéri, et que j’ai le plus tendrement aimé, a été le comte de Creutz. Il étoit aussi de la société littéraire et des dîners de Mme Geoffrin ; moins empressé à plaire, moins occupé du soin d’attirer l’attention, souvent pensif, plus souvent distrait, mais le plus charmant des convives lorsque, sans distraction, il