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nomie. La robuste vigueur de sa philosophie ne s’étoit pas montrée ; le vaste amas de ses connoissances n’étoit pas pleinement formé ; la sagacité, la justesse, la précision, étoient encore les qualités les plus marquées de son esprit, et il y ajoutoit une bonté d’âme et une aménité de mœurs qui nous le rendoient cher à tous. On trouvoit cependant que la facilité de son élocution et l’abondance de sa mémoire ne se tempéroient pas assez. Son débit étoit rarement susceptible de dialogue ; ce n’a été que dans sa vieillesse que, moins vif et moins abondant, il a connu le plaisir de causer.

Soit qu’il fût entré dans le plan de Mme Geoffrin d’attirer chez elle les plus considérables des étrangers qui venoient à Paris, et de rendre par là sa maison célèbre dans toute l’Europe ; soit que ce fût la suite et l’effet naturel de l’agrément et de l’éclat que donnoit à cette maison la société des gens de lettres, il n’arrivoit d’aucun pays ni prince, ni ministre, ni hommes ou femmes de nom qui, en allant voir Mme Geoffrin, n’eussent l’ambition d’être invités à l’un de nos dîners, et ne se fissent un grand plaisir de nous voir réunis à table. C’étoit singulièrement ces jours-là que Mme Geoffrin déployoit tous les charmes de son esprit, et nous disoit « Soyons aimables. » Rarement, en effet, ces dîners manquoient d’être animés par de bons propos.