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que de la tristesse. Comme j’avois assez bien résolu les difficultés qu’on m’avoit proposées, je fus surpris que mes camarades, et que le professeur lui-même, n’eussent pas un air plus content. « Ah ! si j’avois bien fait, leur dis-je, vous ne seriez pas tous si tristes. — Hélas ! mon cher enfant, me dit le professeur, elle est bien vraie et bien profonde, cette tristesse qui vous étonne ! et plût au Ciel qu’elle n’eût pour cause qu’un succès moins brillant que celui que vous avez eu ! C’est un malheur bien plus cruel qui me reste à vous annoncer : vous n’avez plus de père. » Je tombai sous le coup, et je fus un quart d’heure sans couleur et sans voix. Rendu à la vie et aux larmes, je voulois partir sur-le-champ pour aller sauver du désespoir ma pauvre mère ; mais, sans guide et par les montagnes, la nuit m’alloit surprendre ; il fallut attendre le point du jour. J’avois douze grandes lieues à faire sur un cheval de louage ; et, en le pressant le plus qu’il m’étoit possible, je n’allois que très lentement. Durant ce funèbre voyage, une seule pensée, un seul tableau présent à mon esprit, l’avoit occupé sans relâche, et toutes les forces de mon âme s’étoient réunies pour en soutenir l’impression ; mais bientôt, en réalité, il fallut avoir le courage de le voir, de le contempler dans ses plus lugubres horreurs.

J’arrive, au milieu de la nuit, à la porte de ma