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MÉMOIRES DE MARMONTEL

reux effets, et singulièrement celui de me rendre sévère et réservé dans mes liaisons de collège. Je ne me pressai pas de choisir mes amis, et je n’en fis qu’un petit nombre : nous étions quatre, et toujours les mêmes, dans nos parties de plaisir, c’est-à-dire de promenade. À frais communs, et à peu de frais, nous étions abonnés pour nos lectures avec un vieux libraire ; et, comme les bons livres sont, grâce au Ciel, les plus communs, nous n’en lisions que d’excellens. Les grands orateurs, les grands poètes, les meilleurs écrivains du siècle dernier, quelques-uns du siècle présent, car le libraire en avoit peu, se succédoient de main en main ; et, dans nos promenades, chacun se rappelant ce qu’il en avoit recueilli, nos entretiens se passoient presque tous en conférences sur nos lectures. Dans l’une de nos promenades à Beauregard, maison de plaisance de l’évêché ; nous eûmes le bonheur de voir le vénérable Massillon. L’accueil plein de bonté que nous fit ce vieillard illustre, la vive et tendre impression que firent sur moi sa vue et l’accent de sa voix, est un des plus doux souvenirs qui me restent de mon jeune âge.

Dans cet âge où les affections de l’esprit et celles de l’âme ont une communication réciproquement si soudaine, où la pensée et le sentiment agissent et réagissent l’un sur l’autre avec tant de rapidité, il n’est personne à qui quelquefois il ne