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s’occuper de moi. « Bon ! me dit-elle, vos Pères jésuites ! ils ont bien autre chose en tête ! Ils vous berceront de promesses, et ils vous laisseront languir. Que n’allez-vous à Riom chez les Pères de l’Oratoire ? Ceux-là vous donneront moins de belles paroles, mais ils feront pour vous plus qu’ils n’auront promis. » Je n’ai pas besoin de vous dire que je parlois à une janséniste. Sensible à l’intérêt qu’elle prenoit à moi, je parus disposé à suivre ses conseils, et je lui demandai quelques instructions sur les Pères de l’Oratoire. « Ce sont, me dit-elle, des gens de bien que les jésuites détestent et qu’ils voudroient anéantir. Mais il est l’heure de dîner, venez manger ma soupe : je vous en dirai davantage. » J’acceptai son invitation ; et, quoique son dîner fût assurément bien frugal, je n’en ai jamais fait de meilleur en ma vie ; surtout deux ou trois petits coups de vin pur qu’elle me fit boire ranimèrent tous mes esprits. Là j’appris dans une heure tout ce que j’avois à savoir de l’animosité des jésuites contre les oratoriens, et de la jalouse rivalité de l’un et l’autre collèges. Ma voisine ajouta que, si j’allois à Riom, j’y serois bien recommandé. Je la remerciai des bons offices qu’elle vouloit me rendre ; et, fort de ses intentions et de mes espérances, j’allai voir le préfet. C’étoit un jour de congé pour les classes. Il parut surpris de me voir, et me demanda froidement ce qui m’amenoit. Cet