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MÉMOIRES DE MARMONTEL

Je m’appliquai à faire voir dans la feinte un pur badinage, ou un artifice innocent ; un art ingénieux d’amuser pour instruire, et quelquefois un art sublime d’embellir la vérité même, et de la rendre plus aimable, plus touchante, plus attrayante, en lui prêtant un voile transparent et semé de fleurs. Dans le mensonge il me fut aisé de montrer la bassesse d’une âme qui trahit son sentiment ou sa pensée ; l’impudence d’un esprit fourbe, qui, pour en imposer, altère, dénature la vérité, et dont le langage porte le caractère de la ruse et de la malice, de la fraude et de la noirceur.

« À présent, dites-moi, reprit l’adroit jésuite, si c’est feinte ou mensonge ce que vous m’avez dit, qu’un curé de campagne a été votre maître : car je suis presque sûr que c’est chez nous, à Mauriac, que vous avez étudié. — Quoique l’un et l’autre soient vrais, je conviens, lui dis-je, mon père, que je vous aurois fait un mensonge si mon intention avoit été de vous tromper ; mais, en différant de vous dire ce que vous savez à présent, je n’ai pas eu envie de vous le déguiser, ni de vous laisser dans l’erreur. J’avois besoin d’être connu de vous mieux que par des attestations : j’en avois d’assez bonnes à vous produire, et les voici. Mais, sur ces témoignages et sans examen, vous m’auriez accordé ma première demande ; et