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MÉMOIRES DE MARMONTEL

sur-le-champ et sans examen ; mais ce n’étoit pas ce que je voulois. Un éloge en paroles, même le plus exagéré, ne fait qu’une impression vague ; et il me falloit quelque chose de plus frappant, de plus intime : je voulus être examiné.

Je m’adressai donc au préfet, et, sans lui dire d’où je venois, je lui demandai son agrément pour entrer en philosophie. « D’où êtes-vous ? me demanda-t-il. — Je suis de Bort, mon père. — Et où avez-vous étudié ? » Ici je me permis de biaiser un peu. « Je viens, lui répondis-je, d’avoir pour maître un curé de campagne. » Ses sourcils et ses lèvres laissèrent échapper un signe de dédain ; et, ouvrant un cahier de thèmes, il me proposa d’en faire un où il n’y avoit rien de difficile. Je le fis au trait de la plume et avec assez d’élégance. « Et vous avez, dit-il en le lisant, vous avez eu pour maître un curé de campagne ? — Oui, mon père. — Ce soir, vous composerez en version. » Le hasard fit que ce fut un morceau de la harangue de Cicéron que j’avois vue en rhétorique ; aussi fut-il traduit sans peine, et aussi vite que le thème avoit été fait. « Ainsi, dit-il encore, en lisant ma version, c’est chez un curé de campagne que vous avez étudié ? — Vous devez bien le voir, lui dis-je. — Pour le voir encore mieux, je vous ferai composer demain en amplification. » Dans cet examen prolongé je crus apercevoir une curiosité