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tante vint baigner mon lit de ses larmes. Le soir, le médecin trouva mon pouls encore un peu ému, mais parfaitement bien réglé.

Mon père, à son retour du petit voyage qu’il venoit de faire à Clermont, nous annonça qu’il alloit m’y mener, non pas, comme l’auroit voulu ma mère, pour continuer mes études et faire ma philosophie, mais pour apprendre le commerce. « C’est, lui dit-il, assez d’études et de latin : il est temps que je pense à lui donner un état solide. J’ai pour lui une place chez un riche marchand ; le comptoir sera son école. » Ma mère combattit cette résolution de toute la force de son amour, de sa douleur et de ses larmes ; mais moi, voyant qu’elle affligeoit mon père sans le dissuader, j’obtins qu’elle cédât. « Laissez-moi seulement arriver à Clermont, j’y trouverai, lui dis-je, le moyen de vous accorder. »

Si je n’avois suivi que ma nouvelle inclination, j’aurois été de l’avis de mon père, car le commerce, en peu d’années, pouvoit me faire un sort assez heureux ; mais ni ma passion pour l’étude, ni la volonté de ma mère, qui, tant qu’elle a vécu, a été ma suprême loi, ne me permirent de prendre conseil de mon amour. Je partis donc, avec l’intention de me réserver, matin et soir, une heure et demie de mon temps pour aller en classe ; et, en assurant mon patron que tout le reste de mes momens seroit à lui, je me flattois qu’il seroit content.