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ressentiment, elle accabla cette fille aimable des reproches les plus injustes, sans y épargner les mots d’indécence et de séduction. Après cet imprudent éclat elle partit, et nous laissa, moi furieux, et mon amante désolée, étouffant de sanglots et les yeux pleins de larmes. Jugez quelle fut sur mon âme l’impression de sa douleur ! J’eus beau lui demander pardon, pleurer à ses genoux, la supplier de mépriser, d’oublier cette injure : « Malheureuse ! s’écrioit-elle, c’est moi que l’on accuse de vous avoir séduit et de vouloir vous déranger ! Fuyez-moi, ne me voyez plus ; non, je ne veux plus vous revoir ! » À ces mots, elle s’en alla, et me défendit de la suivre.

Je retournai chez moi, l’air égaré, les yeux en feu, la tête absolument perdue. Heureusement mon père étoit absent, et je n’eus pour témoin de mon délire que ma mère. En me voyant passer et monter dans ma chambre, elle fut effrayée de mon trouble ; elle me suivit ; je m’étois enfermé ; elle me commanda d’ouvrir : « Ô ma mère ! lui dis-je, dans quel état vous me voyez ! Pardon ! je suis au désespoir, je ne me connois plus, je me possède à peine. Épargnez-moi la honte de paroître ainsi devant vous. » J’avois le front meurtri des coups que je m’étois donnés de la tête contre le mur. Quelle passion que la colère ! J’en éprouvois pour la première fois la violence et le transport. Ma