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MÉMOIRES DE MARMONTEL

sibilités de succès, de fortune, favorables à nos désirs ; mais, ces douces illusions se succédant comme des songes, l’une détruisoit l’autre, et, après nous en être réjouis un moment, nous finissions par en pleurer, comme les enfans pleurent lorsqu’un souffle renverse le château qu’ils ont élevé.

Pendant l’un de ces entretiens, et comme nous étions assis sur la pente de la prairie, au bord de la rivière, un incident survint qui faillit me coûter la vie. Ma mère étoit instruite de mes assiduités auprès de Mlle B***[1]. Elle en fut inquiète, et craignit que l’amour ne ralentît en moi le goût et l’ardeur de l’étude. Ses tantes s’aperçurent qu’elle avoit du chagrin, et firent tant qu’elle ne put leur en dissimuler la cause. Dès lors ces bonnes femmes, présageant mon malheur, s’aigrirent à l’envi contre cette jeune innocente, l’accusant de coquetterie et lui faisant un crime d’être aimable à mes yeux. Un jour donc que ma mère me demandoit, l’une d’elles se détacha, vint me chercher dans la prairie, et, m’y ayant trouvé tête à tête avec l’objet de leur

  1. Selon M. Rupin, cette initiale dissimulerait Mlle Broquin, dont la famille existe encore à Bort. Des vieillards se souvenaient d’avoir vu sur un hêtre de l’île Verdier, ou des Amours, le chiffre M. B., que la tradition attribuait aux deux amoureux, et sous lequel on lisait la date de 1746. L’arbre fut déraciné en 1830.