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du roi, et la colère qu’il en témoigna, ne me laissèrent plus cette illusion consolante. En sa qualité de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, il crut pouvoir oser lui demander ses ordres auprès du roi de Prusse ; mais le roi, pour réponse, lui tourna le dos brusquement ; et lui, dans son dépit, dès qu’il fut sorti du royaume, lui renvoya son brevet d’historiographe de France, et accepta sans son agrément la croix de l’ordre du Mérite, dont le roi de Prusse le décora, pour l’en dépouiller peu de temps après.

L’exemple de tant d’amertume et de tribulations répandues dans la vie de ce grand homme ne fit que me rendre plus redoutable la carrière des lettres où j’étois engagé, et plus doux le repos obscur dont j’allois jouir à Versailles.

Ici finissent, grâce au Ciel, les égaremens de ma jeunesse ; ici commence pour moi le cours d’une vie moins dissipée, plus sage, plus égale, et surtout moins en butte aux orages des passions ; ici enfin mon caractère, trop longtemps mobile et divers, va prendre un peu de consistance ; et, sur une base solide, ma raison pourra travailler en silence à régler mes mœurs.