Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partir. — De quoi, me demanda Voltaire avec humeur, de quoi donc êtes-vous bien aise ? — De ce que la famille de cet honnête homme n’est plus à plaindre. Voilà bientôt ses fils placés, ses filles mariées ; et lui, en attendant, il a vendu son couteau de chasse ce qu’il vouloit, et vous l’avez payé malgré toute votre éloquence. — Et voilà de quoi tu es bien aise, têtu de Limosin ! — Oh ! oui, j’en suis content. S’il vous avoit cédé, je crois que je l’aurois battu. — Savez-vous, me dit-il en riant dans sa barbe, après un moment de silence, que, si Molière avoit été témoin d’une pareille scène, il en auroit fait son profit ? — Vraiment, lui dis-je, c’eût été le pendant de celle de M. Dimanche. » C’étoit ainsi qu’avec moi sa colère, ou plutôt son impatience, se terminoit toujours en douceur et en amitié.

Comme à l’égard du roi de Prusse j’étois dans son secret, et que je croyois être aussi dans le secret du roi de Prusse sur le peu de sincérité des caresses qu’il lui faisoit, j’avois quelque pressentiment du mécontentement qu’ils auroient l’un de l’autre en se voyant de près. Une âme aussi impérieuse et un esprit aussi ardent ne pouvoient guère être compatibles, et j’avois l’espérance de voir bientôt Voltaire revenir plus mécontent de l’Allemagne qu’il ne l’étoit de son pays ; mais le nouveau dégoût qu’il éprouva en allant prendre congé