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noblement, sans aucune manière, mieux que jamais lui-même je ne l’avois entendu lire. « Ah ! vous avez, lui dis-je, la conscience en repos sur ces vers-là ; aussi ne les fardez-vous point, et vous avez raison : vous n’en avez jamais fait de plus beaux. » Cette pièce eut dans l’opinion des gens instruits un grand succès d’estime ; mais elle n’étoit pas faite pour émouvoir la multitude, et cette éloquence du style, ce mérite d’avoir si savamment observé les mœurs et peint les caractères, fut peu sensible aux yeux de cette masse du public. Ainsi, avec des avantages prodigieux sur son rival, Voltaire eut la douleur de se voir disputer, refuser même le triomphe.

Ces dégoûts avoient déterminé son voyage en Prusse. Une seule difficulté le retardoit encore, et la manière dont elle fut levée est assez curieuse pour vous amuser un moment.

La difficulté consistoit dans les frais du voyage, sur lesquels Frédéric se faisoit un peu tirer l’oreille. Il vouloit bien défrayer Voltaire, et pour cela il consentoit à lui donner mille louis ; mais Mme Denis vouloit accompagner son oncle, et, pour ce surcroît de dépense, Voltaire demandoit mille louis de plus. C’étoit à quoi le roi de Prusse ne vouloit point entendre. « Je serai fort aise, lui écrivoit-il, que Mme Denis vous accompagne ; mais je ne le demande pas. » « Voyez-vous, me disoit Voltaire,