Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voltaire, du côté du génie, eut dans sa nouveauté assez peu de succès pour faire dire qu’elle étoit tombée. Voltaire en frémit de douleur ; mais il ne se rebuta point. Il fit l’Oreste d’après Sophocle, et il s’éleva au-dessus de Sophocle lui-même dans le rôle d’Électre, et dans l’art de sauver l’indécence et la dureté du caractère de Clytemnestre. Mais, dans le cinquième acte, au moment de la catastrophe, il n’avoit pas encore assez affaibli l’horreur du parricide, et, le parti de Crébillon n’étant là rien moins que bénévole, tout ce qui pouvoit donner prise à la critique fut relevé par des murmures ou tourné en dérision. Le spectacle en fut troublé à chaque instant, et cette pièce, qui depuis a été justement applaudie, essuya des huées. J’étais dans l’amphithéâtre, plus mort que vif. Voltaire y vint ; et, dans un moment où le parterre tournoit en ridicule un trait de pathétique, il se leva et s’écria : « Eh ! barbares ! c’est du Sophocle ! »

Enfin, il donna Rome sauvée, et, dans les personnages de Cicéron, de César, de Caton, il vengea la dignité du sénat romain, que Crébillon avoit dégradée en subordonnant tous ces grands caractères à celui de Catilina. Je me souviens qu’en venant d’écrire les belles scènes de Cicéron et de César avec Catilina, il me les lut dans une perfection dont jamais acteur n’approchera : simplement,