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n’espérois, et plus qu’on n’attendoit de moi.

Voltaire alors étoit absent de Paris ; il étoit en Prusse. Le fil de mon récit paru me distraire de mes relations avec lui ; mais jusqu’à son départ elles avoient été les mêmes, et les chagrins qu’il avoit éprouvés sembloient encore avoir resserré nos liens. De ces chagrins le plus vif un moment fut celui de la mort de la marquise du Châtelet ; mais, à ne rien dissimuler, je reconnus dans cette occasion, comme j’ai fait souvent, la mobilité de son âme. Lorsque j’allai lui témoigner la part que je prenois à son affliction : « Venez, me dit-il en me voyant, venez partager ma douleur. J’ai perdu mon illustre amie ; je suis au désespoir, je suis inconsolable. » Moi, à qui il avoit dit souvent qu’elle étoit comme une furie attachée à ses pas, et qui savois qu’ils avoient été plus d’une fois dans leurs querelles aux couteaux tirés l’un contre l’autre, je le laissai pleurer et je parus m’affliger avec lui. Seulement, pour lui faire apercevoir dans la cause même de cette mort quelque motif de consolation, je lui demandai de quoi elle étoit morte. « De quoi ! ne le savez-vous pas ? Ah ! mon ami ! il me l’a tuée ! le brutal. Il lui a fait un enfant. » C’étoit de Saint-Lambert, de son rival, qu’il me parloit. Et le voilà me faisant l’éloge de cette femme incomparable, et redoublant de pleurs et de sanglots. Dans ce moment arrive l’intendant