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Oui, j’en conviens, tout m’étoit bon, le plaisir, l’étude, la table, la philosophie ; j’avois du goût pour la sagesse avec les sages, mais je me livrois volontiers à la folie avec les fous. Mon caractère étoit encore flottant, variable et discord. J’adorois la vertu ; je cédois à l’exemple et à l’attrait du vice. J’étois content, j’étois heureux, lorsque dans la petite chambre de d’Alembert, chez sa bonne vitrière, faisant avec lui tête à tête un dîner frugal, je l’entendois, après avoir chiffré tout le matin de sa haute géométrie, me parler en homme de lettres, plein de goût, d’esprit et de lumières ; ou que sur la morale, déployant à mes yeux la sagesse d’un esprit mûr et l’enjouement d’une âme jeune, et libre, il parcouroit le monde d’un œil de Démocrite, et me faisoit rire aux dépens de la sottise et de l’orgueil. J’étois aussi heureux, mais d’une autre façon, plus légère et plus fugitive, lorsqu’au milieu d’une volée de jeux, et de plaisirs échappés des coulisses, à table entre nos amateurs parmi les nymphes et les grâces, quelquefois parmi les bacchantes, je n’entendois vanter que l’amour et le vin. Je quittai tout cela pour me rendre à Versailles ; mais, avant de me séparer des chefs de l’entreprise de l’Encyclopédie, je m’engageai à y contribuer dans la partie de la littérature ; et, encouragé par les éloges qu’ils donnèrent à mon travail, j’ai fait plus que je