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respirant lui-même, il l’inspiroit. En effet, si l’on me demande quel est l’homme le plus complètement heureux que j’aie vu en ma vie, je répondrai : C’est Jélyotte. Né dans l’obscurité, et enfant de chœur d’une église de Toulouse dans son adolescence, il étoit venu de plein vol débuter sur le théâtre de l’Opéra, et il y avoit eu le plus brillant succès : dès ce moment il avoit été, et il étoit encore l’idole du public. On tressailloit de joie dès qu’il paroissoit sur la scène ; on l’écoutoit avec l’ivresse du plaisir ; et toujours l’applaudissement marquoit les repos de sa voix. Cette voix étoit la plus rare que l’on eût entendue, soit par le volume et la plénitude des sons, soit par l’éclat perçant de son timbre argentin. Il n’étoit ni beau ni bien fait ; mais, pour s’embellir, il n’avoit qu’à chanter ; on eût dit qu’il charmoit les yeux en même temps que les oreilles. Les jeunes femmes en étoient folles on les voyoit, à demi-corps élancées hors de leurs loges, donner en spectacle elles-mêmes l’excès de leur émotion ; et plus d’une des plus jolies vouloit bien la lui témoigner. Bon musicien, son talent ne lui donnoit aucune peine, et son état n’avoit pour lui aucun de ses désagrémens. Chéri, considéré parmi ses camarades, avec lesquels il étoit sur le ton d’une politesse amicale, mais sans familiarité, il vivoit en homme du monde, accueilli, désiré partout. D’abord c’étoit son