Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du succès ; mais j’entendois dans nos concerts des morceaux d’une mélodie après laquelle la musique françoise me sembloit lourde et monotone. Ces airs, ces duos, ces récits mesurés dont les Italiens composoient la scène lyrique, me charmoient l’oreille et me ravissoient l’âme. J’en étudiois les formes, j’essayois d’y plier et d’y accommoder notre langue, et j’aurois voulu que Rameau entreprît avec moi de transporter sur notre théâtre ces richesses et ces beautés ; mais Rameau, déjà vieux, n’étoit pas disposé à changer de manière ; et, dans celle des Italiens, ne voulant voir que le vice et l’abus, il feignoit de la mépriser. Le plus bel air de Leo, de Vinci, de Pergolèse, ou de Jomelli, le faisoit fuir d’impatience ; ce ne fut que longtemps après que je trouvai des compositeurs en état de m’entendre et de me seconder. Dès lors pourtant je fus connu à l’Opéra parmi les amateurs, à la tête desquels, soit pour le chant, soit pour la danse, soit aussi pour la volupté, se distinguoient dans les coulisses les intendans des Menus-Plaisirs. Je m’engageai dans leur société par cette douce inclination qui naturellement nous porte à jouir de la vie ; et leur commerce avoit pour moi d’autant plus d’attrait qu’il m’offroit, au sein de la joie, des traits de caractère d’une originalité piquante, et des saillies de gaieté du meilleur goût et du meilleur ton. Cury, le chef de la bande