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tout est perdu. Soyez donc auprès d’elle assidu, complaisant, galant même si vous voulez, mais rien de plus, entendez-vous ? » Ainsi, dans tous nos entretiens, le naturel de son langage m’en imposoit si bien que je ne pris jamais son esprit que pour du bon sens.

Une liaison d’une autre espèce avec Cury et ses camarades, intendans des Menus-Plaisirs, date pour moi du même temps. Elle me coûta cher, comme on le verra dans la suite. Quant à présent, voici quelle en fut l’occasion. Quinault étoit l’un de mes poètes les plus chéris. Sensible à l’harmonie de ses beaux vers, charmé de l’élégante facilité de son style, je ne lisois jamais les belles scènes de Proserpine, de Thésée et d’Armide, qu’il ne me prît envie de faire un opéra, non sans quelque espérance d’écrire comme lui ; vaine présomption de jeunesse, mais qui faisoit l’éloge du poète qui me l’inspiroit : car l’un des caractères du vrai beau, comme a dit Horace, est d’être en apparence facile à imiter, et en effet inimitable :


Speret idem, sudet multum, frustrUt sibi quivis
Speret idem, sudet multum, frustraque laboret
Ausus idem.


D’un autre côté, je passois ma vie avec Rameau ; je le voyois travailler sur de mauvais poèmes, et j’aurois bien voulu lui en donner de meilleurs.

J’étois dans ces dispositions, lorsqu’à la nais-