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Ce fut aussi dans la maison de M. de La Popelinière que je me liai avec la famille Chalut, dont j’aurai lieu plus d’une fois de me louer dans ces Mémoires, et que j’ai vue s’éteindre sous mes yeux.

Enfin je dus au voisinage de la maison de campagne où j’étois, et de celle de Mme de Tencin, à Passy, l’avantage de voir quelquefois tête à tête cette femme extraordinaire. Je m’étois refusé à l’honneur d’être admis à ses dîners de gens de lettres ; mais, lorsqu’elle venoit se reposer dans sa retraite, j’allois y passer avec elle les momens où elle étoit seule, et je ne puis exprimer l’illusion que me faisoit son air de nonchalance et d’abandon. Mme de Tencin, la femme du royaume qui, dans sa politique, remuoit le plus de ressorts et à la ville et à la cour, n’étoit pour moi qu’une vieille indolente. « Vous n’aimez pas, me disoit-elle, ces assemblées de beaux esprits ; leur présence vous intimide ; eh bien ! venez causer avec moi dans ma solitude, vous y serez plus à votre aise, et votre naturel s’accommodera mieux de mon épais bon sens. » Elle me faisoit raconter mon histoire, dès mon enfance, entroit dans tous mes intérêts, s’affectoit de tous mes chagrins, raisonnoit avec moi mes vues et mes espérances, et sembloit n’avoir dans la tête autre chose que mes soucis. Ah ! que de finesse d’esprit, de souplesse et d’activité, cet air