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Elle fut assez sage pour résister d’abord à ses instances ; mais elle eut la foiblesse d’y céder à la fin, à condition cependant que leur mariage seroit secret. Il le fut quelque temps ; mais elle devint mère il fallut le rendre public.

Alors la seule conduite sage à tenir pour l’un et pour l’autre (et ce fut le conseil que je donnai à mon amie), ç’auroit été de se confiner dans une société d’hommes qu’ils auroient choisis à leur gré ; de la rendre agréable, et, s’il étoit possible, attrayante aussi pour les femmes, ou de se passer d’elles sans faire semblant d’y penser. Mme d’Hérouville sentoit parfaitement que cette conduite étoit la seule qui lui convînt ; mais son époux, impatient de la produire dans le monde, voulut faire violence à l’opinion. Malheureuse imprudence il auroit dû savoir que cette opinion tenoit au plus grand intérêt des femmes ; et que, déjà trop indignées que les filles leur enlevassent et leurs époux et leurs amans, elles étoient bien résolues à ne jamais souffrir qu’elles vinssent encore usurper leur état, et en jouir au milieu d’elles. Il se flatta qu’en faveur de sa femme un si beau caractère, un mérite si rare, tant de qualités estimables, tant de décence et de sagesse dans sa foiblesse même, la feroient oublier. Il fut cruellement détrompé de sa folle erreur : elle essuya des humiliations, et elle en mourut de douleur.