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la vue, soit qu’elle voulût faire diversion à l’ennui que tout ce monde lui causoit, dès qu’elle m’aperçut : « J’ai à vous parler », me dit-elle ; et, quittant sa toilette, elle passa dans son cabinet, où je la suivis. C’étoit tout simplement pour me rendre mon manuscrit, où elle avoit crayonné ses notes. Elle fut cinq ou six minutes à m’indiquer les endroits notés et à m’expliquer ses critiques. Cependant tout le cercle des courtisans étoit debout autour de la toilette à l’attendre. Elle reparut, et moi, cachant mon manuscrit, je vins modestement me remettre à ma place. Je me doutois bien de l’effet qu’auroit produit un incident si singulier ; mais l’impression qu’il fit sur les esprits passa de très loin mon attente. Tous les regards se fixèrent sur moi ; de tous côtés on m’adressa de petits saluts imperceptibles, de doux sourires d’amitié, et, avant de sortir du salon, je fus invité à dîner au moins pour toute la semaine. Le dirai-je ? Un homme titré, un homme décoré, avec qui j’avois dîné quelquefois chez M. de La Popelinière, le M. D. S., se trouvant à côté de moi, me prit la main, et me dit tout bas : « Vous ne voulez donc pas reconnoître vos anciens amis ? » Je m’inclinai, confus de sa bassesse, et je dis en moi-même : « Oh ! qu’est-ce donc que la faveur, si son ombre seule me donne une si singulière importance ? »

Les comédiens furent séduits à la lecture, comme