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par les maîtres de l’art. Je me creusai la tête pour inventer une action nouvelle et hors de la route commune. Je crus l’avoir trouvée dans un sujet tout d’imagination, dont je fus d’abord engoué. Il m’offroit une exposition d’une majesté imposante (les funérailles de Sésostris) ; il me donnoit de grands caractères à peindre en contraste et en situation, et une intrigue d’un nœud si fort et si serré qu’il seroit impossible d’en prévoir la solution. Ce fut là ce qui m’étourdit sur les difficultés d’une action sans amour, toute politique et morale, et qui, pour être soutenue avec chaleur durant cinq actes, demandoit toutes les ressources de l’éloquence poétique. J’y fis tout mon possible ; et, soit illusion, soit excès d’indulgence, on me persuada que j’avois réussi. Mme de Pompadour me demandoit souvent où en étoit ma nouvelle pièce ; elle voulut la lire lorsqu’elle fut finie, et, avec assez de justesse, elle y fit quelques critiques de détail ; mais l’ensemble lui parut bien.

Il me revient ici un souvenir qui va peut-être égayer un moment le récit de mon infortune. Tandis que le manuscrit de ma pièce étoit encore dans les mains de Mme de Pompadour, je me présentai un dimanche à sa toilette, dans ce salon où refluoit la foule des courtisans qui venoient d’assister au lever du roi. Elle en étoit environnée ; et, soit qu’il y eût quelqu’un qui lui choquât