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Bretagne ; l’ambition de l’abbé de Bernis étoit d’avoir un petit logement dans les combles des Tuileries, et une pension de cinquante louis sur la cassette ; mon ambition à moi étoit d’être occupé utilement pour moi-même et pour le public sans dépendre de ses caprices. C’étoit un travail assidu et tranquille que je sollicitois. « Je ne me sens pour la poésie qu’un talent médiocre, dis-je à Mme de Pompadour ; mais je crois avoir assez de sens et d’intelligence pour remplir un emploi dans les bureaux ; et, quelque application qu’il demande, j’en suis capable. Obtenez, Madame, qu’on en fasse l’épreuve ; j’ose vous assurer que l’on sera content de moi. » Elle me répondit que j’étois né pour être homme de lettres ; que mon dégoût pour la poésie n’étoit qu’un manque de courage ; qu’au lieu de quitter la partie il falloit prendre ma revanche, comme avoit fait plus d’une fois Voltaire, et me relever, comme lui, d’une chute par un succès.

Je consentis, pour lui complaire, à m’exercer sur un nouveau sujet ; mais je le pris trop simple et trop au-dessus de mes forces. Les sujets donnés par l’histoire me sembloient épuisés ; je trouvois tous les grands intérêts du cœur humain, toutes les passions violentes, toutes les situations tragiques, en un mot, tous les grands ressorts de la terreur et de la compassion employés avant moi