Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’expliquer si librement. » Cette réticence discrète eut l’effet qu’il en attendoit. « Expliquez-vous, mon père, et soyez sûr, lui dis-je, que je vous saurai gré de m’avoir parlé à cœur ouvert. — Vous le voulez, dit-il, et en effet je sens que, dans un moment aussi critique, je ferois mal de vous dissimuler ce que je pense d’une affaire où je ne vois pour vous rien d’assuré que des dégoûts. — Et quels dégoûts ? lui demandai-je avec étonnement.

— Votre évêque, poursuivit-il, est le meilleur homme du monde ; ses intentions sont droites, et il ne vous veut que du bien, j’en suis persuadé. Mais quel bien pense-t-il vous faire en vous mettant sous la dépendance et à la merci de cet archevêque de Bourges ? Durant vos cinq années de théologie et de séminaire, vous serez à sa pension et vous vivrez de ses bienfaits ; je veux croire aussi qu’il aidera votre famille de quelques secours charitables (ces mots me glacèrent les sens) ; mais, vous et votre mère, êtes-vous faits pour être sur la liste de ses aumônes ? et en êtes-vous réduits là ? — Assurément non, m’écriai-je. — C’est pourtant là, et pour longtemps peut-être, ce que l’on vous propose, ce que l’on vous fait espérer. — Il me semble, lui dis-je, que l’Église a des biens dont la dispensation est remise aux évêques, des biens qu’ils n’ont pas droit de posséder eux-mêmes, et