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MÉMOIRES DE MARMONTEL

sant par ma ville pour aller à Toulouse, vint me demander à dîner.

Ma bonne mère, qui ne se doutoit point de sa mission, non plus que moi, le reçut de son mieux ; et, pendant le dîner, il la rendit heureuse, en lui exagérant mes succès dans l’art d’enseigner. À l’entendre, mes écoliers étoient distingués dans leurs classes, et il étoit aisé de reconnoître, en lisant les devoirs, ceux qui avoient passé sous mes yeux. Je trouvois bien dans cette flatterie une politesse excessive, mais je n’en voyois pas le but.

Vers la fin du repas, ma mère, selon l’usage du pays, nous ayant laissés seuls à table, mon jésuite fut à son aise. « À présent, me dit-il, parlons de vos projets. Que vous proposez-vous, et quelle route allez-vous prendre ? » Je lui confiai les avances que mon évêque m’avoit faites, et le dessein où nous étions, ma mère et moi, d’en profiter. Il m’écouta d’un air pensif et dédaigneux. « Je ne sais pas, me dit-il enfin, ce que vous trouvez de flatteur et de séduisant dans ces offres. Pour moi, je n’y vois rien qui soit digne de vous. D’abord le titre de docteur de Bourges est décrié au point d’en être ridicule ; et, au lieu d’y prendre des grades, vous allez vous y dégrader. Ensuite… mais ceci est un article trop délicat pour y toucher. Il est des vérités qu’on ne peut dire qu’à son ami intime, et je n’ai pas avec vous le droit de