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MÉMOIRES DE MARMONTEL

vous saviez à quel point ma mère est en peine de moi ! combien elle est impatiente de me revoir ! et combien je dois être impatient moi-même de me retrouver dans ses bras ! — Plus vous l’aimez, et plus elle vous aime, plus vous devez, me dit-elle, lui épargner la douleur de vous revoir dans cet état. Une sœur a plus de courage ; et moi je suis ici comme une sœur pour vous. — On le croiroit, lui dis-je, à ce tendre intérêt que vous voulez bien prendre à moi. — Assurément, dit-elle, vous nous intéressez ; et cela est bien naturel, mon oncle et moi nous avons l’âme compatissante pour tout le monde ; mais nous ne voyons pas souvent des malades faits comme vous. » Le curé revint de l’église. Il exigea de moi de renvoyer mon cheval et mon guide, et voulut prendre sur lui le soin de me faire mener chez moi.

Dans une situation tranquille, je me serois trouvé enchanté dans ce presbytère, comme Renaud dans le palais d’Armide, car ma naïve Marcelline étoit une Armide pour moi ; et plus elle étoit innocente, plus je la trouvois dangereuse. Mais, quoique ma mère dût être détrompée par mes deux lettres, rien ne m’auroit retenu loin d’elle au delà du jour où, l’accès de ma fièvre ayant été plus foible, et me sentant un peu remis par deux nuits d’assez bon sommeil, je pus remonter à cheval.