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MÉMOIRES DE MARMONTEL

mon guide croyoit aller. « Vous en êtes à plus de trois lieues, me dit-il, et vous n’êtes pas sur la route. » Mais, en me répondant, il m’avoit reconnu : c’étoit un garçon de ma ville. « Est-ce vous ? me dit-il en me nommant ; et par quel hasard vous trouvé-je à l’heure qu’il est dans ces bruyères ? Vous avez l’air malade ! Où allez-vous donc passer la nuit ? — Et vous ? lui demandai-je. Moi, dit-il, je vais voir un oncle à moi dans un village qui n’est pas loin d’ici. — Et votre oncle, ajoutai-je, voudroit-il bien me donner l’asile dans sa maison jusqu’à demain, car j’ai grand besoin de repos ? — Chez lui, me dit-il, vous serez mal logé, mais vous y serez bien reçu. » Je m’y laissai conduire, et j’y trouvai du pain et du lait pour mon guide, du foin pour mon cheval, et pour moi un bon lit de paille fraîche et de l’eau panée pour mon souper. Il ne m’en falloit pas davantage, car j’étois dans l’accès, et il fut assez fort.

Le lendemain à mon réveil (car j’avois dormi quelques heures) j’appris que ce village étoit une paroisse. C’étoit le jour de l’Assomption, et, quoique bien malade, je voulus aller à la messe. Un jeune abbé dans cette église étoit un objet d’attention. Le curé m’aperçut ; et, après la messe, il me pria de venir dans la sacristie. « Est-il possible, me dit-il après avoir appris mon aventure,